Quelle couleur, la rage, en camp de réfugiés ?
Vert, bleu, jaune, rouge ?
Sang, morsure, délire ?
Quelle température rend digeste sa cuisson ?
De quelle dose d’espoir la couvrir pour l’amadouer ?
Un réfugié est un mort.
Vidé d’espace. La vie barbelée.
Lutte mécanique pour un brin de toile, un bout de toilettes,
un fond d’huile, trois dattes.
Il a quitté la vie et la vie l’abandonne. D'autres vies ont filé.
Trois coups de machette, une rafale de mitraillette.
Restent les rires des rafaleurs.
La vie s’est absentée en laissant claquer ses mâchoires dans la seule chair
à sa mesure : un cœur de survivant.
Où est le monde, demande le réfugié ? Le vrai monde de fruits empilés,
de tissus lavés séchant au vent, d'étals de poisson frais, de manioc frit,
de douces chauves-souris ? Ce monde qui désormais l’ignore ?
Sa tente est un écran éteint à l’heure où dansent les hémisphères.
Et si les gardiens insomniaques - le froid, la faim - parfois rendent les armes,
abrutis de campagnes humanitaires, ils ne dissolvent pas la rage.
La rage est un vernis trop dur. Une fois injectée elle se duplique, infecte,
colonise les nerfs et les aortes.
L’homme est fait pour partir.
L’homme est fait pour rouler, marcher, suivre le soleil à l’envers, se poser,
partir encore, parce que la fille, parce que le garçon est ailleurs.
Le bonheur a le charme du décalage, toujours déporté.
Il exige d'autres gages que ceux des passeurs. Attendre, attendre.
Il faut attendre encore.
Le réfugié sait le Covid, comme il sait les gestes-frontières.
Mais il est contagieux d’autre chose. Sa rage ravage tous les âges,
présage mauvais que l’on encage : « Sage, sois sage, le temps viendra ».
Et Tindouf attend. Le Liban attend, le Congo, le Honduras, la corne de l’Afrique
attendent. La rage attend dans des gares plombées de temps,
où les aiguillages ont disparu. Elle ne sait où aller. Elle a perdu ses couleurs.
Elle est lave lourde, qui envahit les voies de sa viscosité.
Les trains ne rouleront plus. Les trains ne viendront pas.
Ils brûleront d’un feu bouté par des radeaux sans rame,
sans voile, bâtis d’hommes-rondins entrecroisés, qui nus et dépecés,
iront à l’océan noyer leur rage.
26 février 2021
Michèle CATTANI Afp
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